A table ! Aujourd’hui, on cuisine une prévision qui met les pieds dans le plat. On espère que demain tout le monde mangera à sa faim et prendra plaisir à manger des aliments qui ne détruisent pas la planète.
Demain, nous mangerons tous bien ! est une prévision de l’ordre de la salade grecque avec olives, tomates et fêta.
Manger bien s’entend tout d’abord au niveau individuel. On mange bien quand on déguste des produits sains qui satisfont nos besoins vitaux.
C’est aussi prendre plaisir à manger. Manger un bout de pain peut suffire pour satisfaire nos besoins. Mais, manger bien, c’est frotter le crouton avec de l’ail, ajouter un peu d’huile d’olive première pression à froid, du parmesan italien et une tomate séchée.
C’est aussi déguster sa tartine en philosophant avec des amis. Si on l’avale entre deux portes, elle risque de subir la loi de Murphy (Tout ce qui est susceptible d’aller mal ira mal) et en tombant du mauvais côté.
Manger bien a aussi une dimension sociétale. Une bonne alimentation, c’est aussi une alimentation qui produit le moins de gaz à effet de serre possible. Une affaire pas gagnée vu que le tiers des émissions de gaz à effet de serre provient du contenu de nos assiettes.
On mélange la salade et en ajoute le « tous ». La prévision reste alors sur l’estomac. En 2050, on sera au minimum 10 milliards dans la grande casserole planétaire. Il faudra donc produire 56 % de nourriture de plus qu’en 2010 pour rassasier tout le monde !
Une ambiance culpabilisante
Réussir la salade grecque est une gageure. On peut relever le défi si tout le monde s’y met. Sauf que côté alimentation, on est plutôt dans le pâté avec une ambiance fortement culpabilisante.
À part quelques végans, localvores et autres buveurs de bouillons, les mangeurs sont coupables de…
surconsommer,
manger des produits industriels,
polluer,
gaspiller,
favoriser les souffrances animales en consommant de la viande,
détruire leur santé en buvant de l’alcool et en avalant des produits trop gras et trop sucrés,
augmenter l’effet de serre en consommant des produits importés,
faire disparaître les traditions alimentaires
épuiser les ressources maritimes…
J’arrête là cette déprimante liste pour repérer les avancées positives.
C’est déjà demain
On reprend en changeant de mode de cuisson.
Manger bien, c’est…
Cuisiner des produits sains
Il suffit de faire les courses avec un enfant pour voir que cela avance de ce côté.
— Tu ne vas pas acheter un produit avec un produit avec la lettre E, dit votre accompagnateur en vous envoyant un regard fin du monde.
Avant de la ramasser à la petite cuillère, vous reposez l’article. Le nutri-score est désormais familier à 9 Français sur 10. Plus d’un sur deux a changé au moins une de ses habitudes d’achat grâce à lui. L’application Yuka qui identifie les articles a été téléchargée plus de 10 millions de fois ! À côté de sa vocation d’information du consommateur, le nutri-score pousse les industriels à fabriquer des produits plus sains. Ils retirent un peu de gras, de sucre, de sel pour être mieux notés.
On constatera néanmoins que le nutri-score a ses limites. Bizarrement, on peut se retrouver avec un paquet de bonbons comportant la lettre E dans son caddy. Il semblerait que pour ce produit le nutri-score n’est pas « vraiment important » !
D’autres initiatives nous poussent à manger sain.
Aux Pays-Bas, un distributeur automatique scanne les consommateurs et leur propose uniquement les aliments bons pour leur propre santé.
Le sain va encore plus loin.
Des entreprises comme 23andMe, DNAFit, Nutrigenomix et Habit proposent des régimes basés sur un échantillon d’ADN.
Peut-être un peu trop loin !
Le futur de l’alimentation
En 1894, le chimiste français Marcellin Berthelot imaginait l’alimentation du 21e siècle en disant : « En l’an 2000, il n’y aura plus dans le monde ni agriculture, ni pâtres, ni laboureurs. […] Chacun emportera pour se nourrir sa petite tablette azotée. »
Trois images de la Maison d’ailleurs d’Yverdon-les-Bains racontent aussi ce futur.
Elevage intensif, chromolithographie publicitaire, imprimerie Vieillemard 1900
Repas de Noë l, W. Heath Robinson, Pear’s, 1919
Joseph Hémard, L’Agenda, 1947
Heureusement pour nous, ces aventuriers du futur se sont roulés dans la farine. Aujourd’hui, il y a dans l’escarcelle des prévisionnistes alimentaires, trois plats principaux.
La viande artificielle.
Ce fut l’objet d’un épisode de la série. « Ici, demain ». Outre que cette technologie peut conduire à un nouveau cannibalisme, on se demande si la piste est digne d’intérêt. Comme pour la cigarette sans tabac, la viande de laboratoire sera toujours perçue moins bien que la vraie. Au lieu de passer à d’autres aliments et d’inventer de nouveaux plaisirs de « bien manger », elle fournira des aigreurs à l’estomac en gardant en mémoire le bon vieux temps de la côte de bœuf sur barbecue.
Les insectes
Le deuxième, ce sont des insectes. Contenant un taux de protéine supérieur aux viandes, aux végétaux, aux œufs et aux volailles, les criquets, les sauterelles et autres araignées sont annoncés comme les grands remplaçants de la viande.
Le seul souci est que, pour l’instant, le ragout de punaises ou la fricassée de cafards, ça ne fait pas vraiment frétiller les papilles.
Les algues
Les algues marines sont particulièrement riches en nutriments. Dans certaines algues, il y a huit fois plus de calcium que dans du lait ou dix fois plus de vitamines que dans une orange.
De nombreuses entreprises les transforment. Une start-up de San Franscisco, Umaro Foods, produit du bacon à partir des algues. Mais, pour l’instant, les algues sont plus souvent cuisinées dans les restaurants gastronomiques qu’à la maison.
Quels que soient les nouveaux aliments, la priorité est d’apprendre à cuisiner autrement et plus, encore, de découvrir le plaisir à manger sans viande et avec de nouveaux aliments. Nombreux, comme moi, achètent de la viande parce qu’ils ne savent pas encore faire un « bon » repas sans viande.
Bonne nouvelle, manger autrement commence à s’apprendre dans les cantines.
La métropole de Chartres propose un menu hebdomadaire sans viande et poisson. Les services enregistrent une hausse ce jour-là.
L’école Notre-Dame à Lamballe a proposé à ses élèves un menu entièrement à base d’algues.
On ne peut qu’applaudir ces initiatives. Pour que nous mangions tous bien demain, la priorité est de repenser une éducation à la nourriture.
On continue les bonnes nouvelles.
Même dans les villes, on consomme local
Le Talus, Terre de Mars, le paysan urbain, la ferme Capri… À Marseille, il y a au moins huit fermes urbaines.
À Paris, le toit du parc des expositions accueille la plus grande ferme d’Europe.
À Pékin, Alesca Life Technologies rachète de vieux containers de commerce pour les transformer en potager. L’aménagement est pensé pour que les néophytes puissent produire leurs légumes.
On trouve aussi de nombreuses initiatives pour diminuer le gâchis.
Lassociation des Frigos solidaires a installé des réfrigérateurs permettant aux habitants de déposer leurs restes. Outre limiter le gâchis, cela permet aux plus démunis de se nourrir.
Des restaurants de Shanghai combinent leurs restes de nourriture pour faire des pizzas, appelées RePizzas. Comme les restes ne sont jamais les mêmes, elles ont des goûts différents.
Circul’egg valorise les coquilles et membranes d’œufs. L’entreprise les transforme en ingrédients à haute valeur ajoutée pour d’autres industries.
On arrive maintenant au point critique qui est de manger « tous » bien.
L’affaire se corse vu que tout le monde ne mange pas encore à sa faim. On estime qu’une personne meurt de faim toutes les quatre secondes. Et beaucoup de monde mange mal. L’alimentation est un miroir des inégalités sociales. Mais, là aussi, les initiatives sont nombreuses.
La municipalité de Strasbourg a mis en place l’ordonnance verte. Elle permet aux femmes enceintes de recevoir gratuitement 28 paniers de légumes bio.
L’idée d’une « Sécurité sociale de l’alimentation » fait son chemin en France. L’idée est de fournir des bons d’alimentation pour que tout le monde puisse se nourrir.
La ville de Dompierre-sur-Yon a créé un potager de 5 000 m2 dont la production va à la banque alimentaire.
Et si demain, tout le monde mangeait bien
On arrêterait de faire dérailler la nature
Dans ce domaine, on viole allègrement des principes fondamentaux. Après les dégâts commis par la vache folle, on continue à faire manger à des animaux d’autres animaux. Les autorités européennes permettent d’utiliser des protéines de porc et de volaille dans la pisciculture. Les viandes « pur bœuf » contiennent du cheval ou du porc. On mange du colin en croyant déguster du cabillaud. La chair rose des saumons vient de colorants chimiques…
Le monde serait plus doux
Nietzsche déplore d’avoir mis des années à comprendre les méfaits de la cuisine allemande qui multiplie les viandes trop bouillies avec des légumes gras et farineux suivis d’entremets qui dégénèrent en pesants presse-papiers. Il dit : « On comprend l’origine de l’esprit allemand : il naît de tripes dérangées… L’esprit allemand est une indigestion : il ne peut plus rien assimiler. Pour conquérir sa liberté, pour devenir soi-même, » affirme le philosophe avant de vanter les mérites de l’eau de source, du thé très fort et de la cuisine du Piémont.
Si la philosophie n’est pas votre tasse de thé, chacun constate que prendre plaisir à bien manger atténue considérablement les velléités belliqueuses.
Bon, si vous n’êtes pas encore convaincu que demain, on se nourrira tous bien, mangez une glace. Cela vous fera réfléchir et vous permettra peut-être d’envisager d’autres initiatives pour y arriver.
Futureusement vôtre.
Anne-Caroline