Demain, nous serons immortels !
Ici, demain explore chaque semaine une prévision. On commence par lister les avancées technologiques et sociétales qui pourraient la rendre possible. On se pose ensuite la question : “Et si demain, la prévision s’avérait juste, est-ce que cela aiderait les hommes à mieux vivre ou au contraire causerait de nouveaux dégats sociétaux ? ”
Demain, nous pratiquerons l’amour collaboratif, mangerons du steak d’humain, programmerons nos bébés… Nous continuons à vous propulser dans le futur en vous injectant une dose d’immortalité.
— Jeanne, j’ai fait un test. La faucheuse va venir me chercher. 143 ans, c’est vraiment jeune pour mourir !
— Moi, la mort ne me fait pas peur. Je m’ennuie et je ne veux plus vivre dans nos prisons pour vieux riches.
— On doit se protéger. Les plus jeunes n’en peuvent plus de cette immortalité qui détruit leur vie.
Est-ce qu’on va vraiment vivre jusqu’à plus soif de vie ?
L’immortalité est le plus vieux rêve de l’homme. Gilgamesh cherchait déjà la plante de la jouvence. Les empereurs chinois ingéraient des métaux précieux inaltérables pour obtenir une résistance au temps. Ce rêve a traversé les âges, avant d’atterrir sur les paillasses des chercheurs. Pour dépasser le seuil théorique de la vie humaine située autour de 120 ans, différentes pistes sont explorées.
C’est déjà demain
PS. Comme la lettre est longue, vous pouvez sauter la première partie si vous n’êtes pas un fanatique des recherches.
On reprogramme les vieilles cellules
L’aventure humaine commence par une cellule qui se divise un certain nombre de fois avant de se spécialiser pour former les différentes parties de notre corps.
Ensuite, les cellules spécialisées continuent à se diviser et remplacent les cellules mortes. Ce système a ses limites. En 1965, Leonard Hayflick montre que les cellules se divisent entre 50 à 70 fois avant de s’arrêter. Cet arrêt du travail cellulaire provoque le vieillissement de l’organisme. Les cellules deviennent sénescentes. Elles ne meurent pas, mais sécrètent des produits chimiques qui provoquent des inflammations.
Pour éviter ce phénomène, nombreux chercheurs cherchent à reprogrammer les cellules spécialisées sénescentes en cellules pluripotentes.
Les premiers à avoir réussi sont les généticiens japonais Kazutoshi Takahashi et Shinya Yamanaka en 2006.
Travaillant aussi sur l’inversion de cycle cellulaire, des chercheurs français, de l’Institut de génomique fonctionnelle à Montpellier, ont monté une start-up Ingraalys pour reprogrammer des cellules de peau humaine.
Altos Labs est une start-up de trois milliards de dollars soutenue par Jeff Bezos. Regroupant des prix Nobel (Françoise Arnold, Jennifer Doudna, Shinya Yamanaka, David Baltimore), elle affirme être en mesure de prévenir et d'inverser le vieillissement humain au cours des deux prochaines décennies.
On arrête le raccourcissement des télomères
En 1971, le biologiste russe Alekseï Olovnikov a découvert que la fin de la division cellulaire est due au raccourcissement des télomères.
Les télomères sont des petits capuchons protégeant l’extrémité des chromosomes qui portent l’ADN. Leur taille diminue en même temps que leur effet protecteur. Cela fonctionne comme pour une mèche de bougie. Chaque fois que la cellule se divise, un morceau est coupé par une enzyme. Quand les télomères diminuent, le génome devient instable. Les mutations cancérigènes de l’ADN augmentent.
Des chercheurs ont repéré le gène qui influe sur la longueur de la mèche protectrice des chromosomes (ou télomère). Il produit une enzyme, la télomérase qui ralentit le raccourcissement des fameux télomères. L’idée logique est donc d’augmenter la fabrication de télomérase en dopant le gène de la longévité.
On s’inspire de la longévité des animaux
La longévité phénoménale de certains animaux suscite des études dans le monde entier.
João Pedro de Magalhães, biologiste à l’université de Birmingham, a séquencé le génome de la baleine boréale. Ce mastodonte de 100 tonnes peut vivre au-delà de 200 ans. Des chercheurs ont montré que certains gènes associés au cancer et à la sénescence portent chez cet animal des mutations spécifiques.
Vera Gorbunova de l’université de Rochester travaille sur la longévité du rat-taupe nu, Ce rongeur dispose d’un mécanisme anticancéreux basé sur un flux abondant de HMW-HA. Expérimentant le principe sur la souris, elle estime que dans dix ans les humains pourront profiter de cette technique anti-vieillissement.
On avale des potions d’éternité
En 2016, la biotech Ambrosia proposait, moyennant 10 000 euros, de s’administrer un litre de sang de donneurs de moins de 25 ans. Si cet élixir de jouvence faisait déjà fantasmer Léonard de Vinci soupçonné de se procurer de petits flacons de sang frais prélevés sur les cadavres de condamnés à mort, son efficacité n’est toujours pas certaine. L’activité de la compagnie californienne a été interrompue en 2019 par la Food and Drug Administration américaine.
On recycle des médicaments
En Allemagne, l’Institut Max Planck de biologie du vieillissement travaille sur la rapamcyne. Ce produit, prescrit pour prévenir le rejet d’organes après une transplantation, empêcherait le déclin lié à l’âge. Il a pour l’instant des effets secondaires assez dangereux qui devraient pouvoir être gérables à faibles doses.
On se serre la ceinture
La restriction calorique augmente la longévité. Pour vivre plus longtemps, il suffit de réduire de 40 % son apport calorique. Pour éviter ce régime, des chercheurs de l’université de Tel-Aviv ont développé un algorithme qui imite la restriction calorique. Ils ont ainsi identifié les gènes à modifier pour obtenir le même effet que la limitation.
Des milliards pour dompter Thanatos
Le milliardaire Dimitry Itskov finance « Initiative 2045 ». Ce programme en quatre étapes aboutira à la création d’un cerveau artificiel. Il sera alors possible de transférer la conscience d’un individu dans un corps holographique.
Ce dispositif a été initié par Ray Kurzweil, informaticien, inventeur, visionnaire, gourou technoscientifique et chef de file des transhumanismes. Ce courant de pensée prône une amélioration et une augmentation de l’homme par le biais des technologies issues des sciences de la vie et de l’informatique.
Martine Rothblatt qui s’est intéressée au transhumanisme en lisant le livre de Ray Kurzweil veut dépasser le maître en créant des clones numériques des esprits humains.
On attend le miracle
La société de biotechnologie française Cellectis a créé Scèil une banque de cellules. L’objectif est de conserver des cellules saines pour le jour où la science permettra de faire des back-up génétiques. Le stockage du patrimoine génétique coûte environ 100 000 dollars. Comme il est interdit en France, Cellectis s’est implantée à Dubaï et à Singapour.
Le milliardaire canadien Robert Miller finance la fondation Alcor. Cet organisme propose de cryogéniser corps et cerveau pour la modique somme de 200 000 dollars.
Nectome, pilotée par deux anciens du MIT, souhaite préserver le cerveau de personnes décédées, pour pouvoir l’uploader un jour dans un ordinateur.
Et si demain, nous pouvions vivre éternellement !
Au vu des recherches en cours, le premier constat est que, pour connaître rapidement l’immortalité, il vaut mieux être une souris qu’un humain. Mais, comme la quête d’immortalité est l’une des forces motrices de l’histoire humaine, on peut imaginer que l’homme arrivera un jour à dépasser sa date de péremption, qui se situe aujourd’hui autour de 120 ans.
Est-ce que cette vie sans fin sera un rêve ou un cauchemar ?
Commençons par faire pencher la balance du côté positif.
On aura plus peur de vieillir et de mourir.
Un cancer sera aussi anodin qu’une verrue plantaire. On pourra donc passer son temps à parler de la pluie et du beau temps, ou plus précisément, des tornades et des canicules qui risquent de devenir notre lot quotidien.
On va accumuler des connaissances et des savoirs
Au fil des années, on s’enrichira de savoirs et connaissances pour devenir des puits de sagesse et d’expériences. Avec ces enrichissements de nos esprits, les mascarades du pouvoir n’intéresseront plus personne. Nous comprendrons enfin que la collaboration est le seul moyen pour trouver des solutions solides et durables à nos problèmes.
On créera une société plus équitable
Les inégalités de durée de vie entre les différentes classes sociales et régions du monde disparaîtront. Les bienfaits de la disparition de cette inégalité nous donneront envie de supprimer toutes les autres. La société deviendra plus équitable.
Si l’immortalité peut sembler attrayante sur certains côtés, elle est aussi un cadeau empoisonné.
On cramera les dernières ressources de la planète
Toutes les ressources seront exploitées et surexploitées. Les riches feront main basse sur les dernières pépites de la Terre. Le monde sera gris, froid, vide et totalement inégalitaire.
On va se massacrer
Si les bébés qui naissent à partir d’aujourd’hui vivent 1000 ans, il y aura, en 3000, 750 millions de personnes en France et 100 milliards sur la planète. Comme il n’y aura pas d’eau et d’alimentation pour tous et que les ressources naturelles s’épuiseront avant de pouvoir se reproduire, il faudra s’éliminer les uns et les autres. La régulation de la population passera par des génocides et des règles dictatoriales. On choisira, par exemple, les couples autorisés à se reproduire et les bébés qui ont le droit de vivre.
On se fera la guerre du vieillissement
Il y aura d’un côté les humains bio à vieillissement naturel et de l’autre les trafiqués à non-vieillissement. Le monde se divisera en deux. Un fossé se creusera et nous nous affronterons. Notre haine de ceux à la ride différente sera si immortelle qu’elle nous pourrira tous.
On perdra le goût à la vie
Les vieux riches se protègeront des agressions provoquées par des désillusions des plus jeunes. Ils auront l’impression de vivre dans des prisons. Vivre aussi longtemps pour en arriver là leur donnera tant envie de se suicider que de tuer leurs copains de galères.
On va devenir des mollusques apathiques
S’il n’y a plus de mort, il n’y a plus de besoin donc plus d’urgence à faire quoi que ce soit. Sans la mort pour nous stimuler, on n’aura plus envie d’innover, évoluer ou prendre des risques. On va subir des technologies déliquescentes et vivre une décrépitude sociale et technologique.
On perdra le sens
La valeur de la vie réside dans le fait qu’elle est limitée dans le temps. Sans fin, elle perd tout son sens.
On s’ennuiera
L’immortalité pourrait entraîner l’ennui et la dépression existentielle chez certaines personnes qui finiraient par tout voir, tout faire et tout expérimenter.
Si la vie est infinie, il faudra refaire toujours la même chose. Une vie infinie finirait par devenir ennuyeuse dans l’éternel recommencement. Être heureux c’est aussi découvrir de nouvelles choses, de nouvelles sensations, mais il arrivera nécessairement un jour où l’immortel aura fait le tour de toutes les satisfactions possibles. Il ne resterait alors que l’ennui de celui qui n’a plus de projet parce qu’il a tout essayé.
On assistera à la fin de l’espèce
La mort est nécessaire à l’évolution. Si elle n’opère pas l’élimination des plus faibles et leur remplacement par des plus aptes, la société et les espèces se figent. Les humains seront immortels, mais l’espèce mourra.
Au vu de ces perspectives, le « Demain, nous serons immortels » a une tonalité bien sombre.