Demain, on aura des quotas carbone individuels qui seront des contraintes positives
Série 1, épisode 8
La série “Ici, demain” ne manque pas d’ambitions. Elle veut contribuer à changer les discours pour envisager de nouveaux modes d’action.
Pour chaque épisode, on prend une fiction (une prévision), on montre qu’elle est plausible (recherches, innovations…) et on réfléchit à ses incidences positives et négatives. Aujourd’hui, on n’a peur de rien en s’attaquant à un sujet souvent débattu : les quotas carbone individuels.
Chaque citoyen émet en moyenne 11 tonnes de CO2 par an. Pour respecter l’Accord de Paris, il faut une réduction de 80 % de la consommation individuelle. En d’autres termes, il faut passer de 11 tonnes à 2 tonnes par an.
Pour y arriver, une idée se profile en permanence dans les débats : le quota carbone individuel.
L’idée est simple. On considère qu’on a le droit à un gâteau carbone annuel. On le divise en autant de part qu’il y a de personnes.
Une idée à éliminer
Sans doute parce que l’idée est trop simple, on cherche à l’éliminer.
Elle est d’abord attaquée au marteau-piqueur de la liberté. Cette contrainte va nous priver de notre sacro-sainte liberté de faire tout et surtout n’importe quoi pour détruire la planète.
On pose ensuite la carte de l’économie.
Sa mise en place se traduirait par l’effondrement du château de cartes. Tous les discours sont au vert. Les entreprises sont en train d’opérer leur mue écologique. Cette transition a ses limites. Nombreuses entreprises considèrent qu’il faut continuer à faire du profit en vendant de l’inutile. Soutenir les quotas carbone individuels, c’est donc se tirer une balle dans le pied.
Les dirigeants des entreprises bottent en touche en envoyant la balle à leurs clients : « Je veux éviter que les Français perdent leur liberté de prendre l’avion et de découvrir le monde ! » dit Augustin de Romanet, le patron des Aéroports de Paris. Il préfère en appeler à la responsabilité des passagers. « Si les gens n’ont pas des comportements raisonnables et multiplient les vols long-courriers pour quelques jours de vacances, les émissions de CO2 vont croître fortement. Dans ce cas, nous n’échapperions pas à des mesures coercitives, comme l’attribution de quotas de vols par an. » Enfin, cela risque de traîner jusqu’à ce qu’il soit trop tard.
Les clients renvoient la balle en considérant qu’il est absurde de mettre en place des quotas individuels, car ce sont principalement les entreprises qui sont responsables des émanations de CO2.
On remet la balle au centre et on achève l’idée des quotas en considérant que l’idée n’est pas assez mûre. Il n’y a pas encore une comptabilité carbone suffisamment fiable pour mettre en place une politique contraignante. Ou quand les drames provoqués par le réchauffement climatique obligeront les politiques à prendre de vraies mesures. En attendant, on préfère considérer qu’on réglera le problème climatique avec une baisse de 5 km/h de la vitesse des voitures.
Un nouvel état d’esprit
Ces arguments devraient suffire à plier bagage et mettre la prévision dans le buffet des « petites idées ne pouvant servir à rien. » Mais, on peut aussi envisager une autre approche pour mettre en place des quotas carbone.
On ne peut pas résoudre un problème avec le même mode de pensée que celui qui a généré le problème . Albert Einstein.
Le mode de pensée qui a conduit à cette production astronomique de CO2 se résume en deux mots : toujours plus.
On est plus heureux si l’on a plus d’argent, de vêtements, de chevaux à sa voiture, d’espace dans son habitation, de steaks dans son assiette, de followers… Ces accumulations nous consolent et nous font oublier que notre bonheur est bien factice.
Dans cette logique, les mots « décroissance, sobriété, frugalité… » sont comme des bâtons dans les roues des hamsters que nous sommes devenus. Ils sont vécus comme des casseurs de rêves, voire des cauchemars.
Abandonnons cinq minutes cette posture pour tourner la tête. Si vos articulations et neurones ne sont pas trop sclérosés par un abus de « toujours plus », vous pouvez découvrir que respecter des quotas peut aussi être un plaisir.
Il est en effet plus agréable de…
Pédaler à l’air libre sur un vélo que faire dix fois le tour pour garer sa voiture.
Descendre de sa voiture pour partager celle d’un autre et discuter de l’amour, la vie, la mort et autres brouilles qui encombrent nos existences que de se distraire en jouant du klaxon.
Échanger sur des recettes sympas avec le producteur de fruits et légumes que de se faire injurier par un livreur Uber Eats venant de risquer sa vie pour être dans les temps.
Observer les moutons tondre votre gazon plutôt que de découvrir les allers et retours psychotiques de Coco, le robot tondeur de gazon.
Vous avez l’impression que je suis Petit ours brun aux pays des Bisounours. Pourtant, abandonner le stressant et implacable « toujours plus » peut aussi un moyen de souffler et de reprendre le goût de la vie. Les quotas carbone, ce n’est pas le régime « pain sec et à l’eau », mais juste une autre façon de vivre.
Et si demain, nous avions des quotas carbone ?
La liberté de détruire me semblant contraire à la liberté, les grincements de dents concernant la privation de liberté évoquée plus haut. J’irai plutôt sur les aspects positifs de ces quotas.
Redonner le sommeil à nos enfants
On ne peut pas aimer nos enfants et en même temps continuer allègrement à massacrer leur avenir. D’autant que nombreux ont l’impression que ce que nous faisons à la nature, c’est à eux que nous le faisons.
Aujourd’hui, ils grandissent avec la peur de ce compte à rebours. Cette condamnation de l’humanité interfère avec la qualité de leur sommeil, leur capacité à étudier, à jouer et à s’amuser. Ces quotas leur montreront qu’on ne continue pas à privilégier les intérêts personnels à la survie collective
On arrêtera avec cet ignoble cynisme qui consiste à dire : « Ma génération a tout gâché, maintenant c’est à la vôtre d’y remédier. »
Donner du sens à nos écogestes
A quoi bon, trier mes poubelles, diminuer la température de son appartement, couper l’eau quand on se lave les dents, ne plus manger de viande ? On s’interroge et parfois, même souvent, on baisse la garde en voyant l’ampleur de la tâche.
Avec les quotas, on est tous dans le même bateau et le navire garde le cap. Hubert Reeves disait :
L’environnement, ce n’est pas un gros problème, c’est sept milliards de petits problèmes.
Chacun prend en charge une partie du problème.
Rétablir une équité
Comme moi, j’imagine que de nombreuses personnes ont envie de hurler quand ils voient que certains font des allers et retours pour voir un concert à l’autre bout du monde. Et pire encore lorsqu’on voit des troupeaux embarquer dans des bateaux de croisière. Vu qu’ils expulsent la même quantité de soufre qu’un million de voitures par jour, ces retraités qui vont danser la lambada sur les eaux donnent des envies de meurtres. On peut se calmer, si on sait qu’après leur escapade, ils sont condamnés à faire pendant plusieurs années le tour de leur jardin en pantoufles.
Les personnes ayant de faibles rémunérations sont plus sobres. Ils vont donc moins avoir de difficulté à respecter les quotas. .
Simplifier les rapports entre les générations
Dans les pays industrialisés, les baby-boomeurs émettent plus de carbone que les autres générations. Des études montrent que la part d’émission des plus de 60 ans augmentent constamment. Outre qu’ils sont plus nombreux, leur pouvoir d’achat augmente. Question changement de comportement, ils font partie des boulets. Ils semblent faire des doigts d’honneur aux plus jeunes en embarquant dans des bateaux de croisière (j’insiste) ou invitant leurs petits enfants à des expéditions avions-hôtel piscine pour quelques jours de bronzette exotique.
Avec les quotas, on aura l’impression de tous habiter sur la même planète.
Réinventer tous les secteurs
Les quotas obligeront tous les secteurs d’activité à se réinventer.
Il faudra repenser par exemple le sport ou le spectacle pour minimiser les déplacements. Certes, il faudra faire preuve de créativité pour valoriser le sport et la culture locale, mais on n’aura plus des footballeurs qui font des Paris-Nantes en jet privé.
Les usagers vont faire pression sur toutes les entreprises pour qu’elles diminuent le coût carbone de chaque produit et service.
Parfois, il faudra repenser totalement le secteur d’activité.
Le livre a un coût carbone trop élevé constitué par les transports des livres et les mises au pilon. Les lecteurs vont demander à la chaîne du livre de réviser sa copie. On pourrait alors imaginer de créer des imprimantes pour imprimer et façonner dans les librairies les livres achetées.
Avec un peu d’entraînement, on trouvera des solutions pour tous les produits et services.
Pourquoi pas mettre des voiles sur les gros cargos et obliger les retraités à ramer sur la Lambada ? D’accord, cela risque d’avoir un peu moins de succès au début, mais on s’y habituera. (Ma lourdeur sur le sujet vient du fait que j’habite Marseille. Ces usines à pollution marine nous narguent en devenant de plus en plus grosses et nombreuses.)
Créer de la solidarité
Pour éviter la dictature du quota, on pourra mettre de la souplesse solidaire.
Vous faites les courses ou gardez les enfants de la voisine du dessus.
Vous accueillez un migrant.
Vous passez des heures à vous battre pour que les logements de la résidence ne soient plus des passoires thermiques.
Vous travaillez en pédalant pour produire de l’électricité pour votre immeuble.
Ces services que vous rendez à la communauté pourraient être rémunérés en bons carbone.
C’est impossible.
Petit ours brun, nous ne sommes pas chez les Bisounours, avez-vous envie de hurler en lisant ces lignes.
Pourtant, toutes les études montrent que, en cas de situation d’urgence, les humains mettent en place des mécanismes de solidarité. Aujourd’hui, les récents dégâts climatiques en témoignent, nous sommes en état d’urgence.
Petit ours brun vous salue en espérant vous avoir montré que tout est possible si on accepte d’imaginer que cela l’est.